Prendre son temps et profiter des petits plaisirs simples

9 février 2020

Beau programme, que j’applaudis des deux mains (si, si !). Pourtant, ces derniers temps, j’ai la nette impression que le beau concept de gestion du temps menace, lentement mais sûrement, de m’engloutir tout entière. Le souci d’efficacité semble s’être immiscé, sans que je m’en rende compte, dans toutes mes activités, bien au-delà du domaine professionnel.

D’habitude, je suis assez fière de ma capacité – toute féminine, paraît-il –  à penser, organiser et exécuter plusieurs tâches à la fois. Mais j’ai bien peur que cette faculté à jongler ne me fasse définitivement… perdre mes billes. Récemment, j’ai testé la « Journée de Congé ». La vraie. Celle qu’on prend sans raison, même pas pour aller chez le dentiste ou soigner un enfant malade resté à la maison. Ô joie ! Enfin, j’allais prendre le temps de me reposer et de m’amuser un peu. C’est avec trépidation et pleine d’enthousiasme que j’ai débuté cette journée merveilleuse par, attention, tenez-vous prêtes : une liste.

Ben quoi ? Il fallait bien rentabiliser cette maigre journée ! J’avais au moins trois expos qui m’attendaient, notées dans mon agenda depuis environ autant de mois. Puis, j’avais envie de faire du pain. Pétrir la pâte, la voir gonfler lentement dans le four… c’était sûr, ça me relaxerait. Ensuite, je sèmerais les graines de tomates, de thym et de basilic que j’avais gardées précieusement depuis le mois de février. Le jardinage calme les nerfs, c’est bien connu. Enfin, une longue promenade au grand air me ferait le plus grand bien. Des petits plaisirs simples qui me reconnecteraient avec l’essentiel.

J’aurais alors tout le loisir de relire et trier les magazines empilés depuis 2007, de ranger ma garde-robe qui pourrait figurer dans les reportages photo des pires tsunamis de la décennie ; ou de répondre aux courriels des amis qui m’avaient invitée à leur soirée du 17 mars (cela fait plus d’un an), et qui doivent se demander si je suis encore en vie. En bref, cette journée allait être l’occasion de tout remettre en ordre, et le soir, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes lorsque je me coucherais bien tôt, rassérénée et profondément satisfaite de mon ‘planning’ exécuté à la perfection.

Debout à 6h30 (il n’est pas si facile de lutter contre son réveille-matin intérieur), j’étais dans la cuisine à 7h30, prête à confectionner le plus beau pain de toute l’histoire de la boulangerie et à passer une excellente journée de repos. J’ai dû rater un tournant quelque part, car en attendant que la levure fasse son effet (une bonne heure), je me suis lancée dans mes semis sur le mini-balcon, non sans avoir enclenché une lessive et fait la vaisselle au préalable.

J’ai alors compris que tout comme pour le pain, il faut une bonne dose de patience pour placer calmement 3 graines microscopiques dans 30 petits pots… Au fait, combien de temps les tomates allaient-elle mettre à pousser ? Et ce ne serait pas la sonnerie du téléphone, là ? Et tiens, j’en aurais bien profité pour passer à la banque en allant me promener, une fois que tout sera rangé. Et puis, il faudrait absolument que je me renseigne sur ce problème de recyclage des déchets dans la rue.

Et puis… j’ai fini par passer la journée à courir, loin du moindre musée ou sentier de promenade, ou à trépigner d’impatience devant le pain qui ne voulait pas lever ou les tomates qui me semblaient bien paresseuses, dans le fond. Ma liste si ambitieuse n’a eu pour résultat que la déception, le soir venu (tard, bien évidemment, car j’avais beaucoup trop de corvées à rattraper avant d’aller dormir), de constater que je n’avais pas réussi à ‘optimiser’ mon temps et à me relaxer, maître-mot de la journée. S’en est donc suivi un vague sentiment de culpabilité – une autre spécialité féminine – de ne pas avoir accompli ce que j’avais soigneusement prévu. Une bien belle journée, en effet !

J’ai bien sûr tenté de me rassurer en me disant que je n’étais pas la seule à tomber régulièrement dans le piège des ‘to-do lists’, même quand elles ne sont pas de rigueur. Néanmoins, j’avais du mal à imaginer une maman emmenant son enfant au parc et lui dire : « Ce matin, Oscar, tu as le temps de construire trois châteaux de sable. Non, non, pas le temps pour les créneaux ou le pont-levis. Après, on passera aux balançoires… »

Bien sûr, on peut toujours blâmer le manque de temps qui nous pousse parfois à ce genre d’extrêmes. D’après une récente étude sur la génération ‘slow’, nous serions huit Européens sur dix (dont une majorité de femmes) à vouloir ralentir le rythme, nous sentant la plupart du temps comme des « slow contrariés ». Nous voulons, semble-t-il privilégier la qualité de notre vie et non son efficacité… L’étude insiste aussi sur le contraste entre ce vœu pieu et la réalité de nos modes de vie ‘speedées’, qui fait « naître la mauvaise conscience ».

Me voilà donc quelque peu rassurée : je ne suis pas la seule à aspirer à plus de calme. Ne reste plus qu’à me réconcilier avec la lenteur… Attendez voir, il doit certainement exister des listes pour y arriver. Je m’y mets de ce pas !

Marie Gabriel – Rédactrice

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