La place de la tradition dans l’éducation des enfants de la diaspora. Par Estelle Baroung Hugues

16 janvier 2020

C’est ainsi que l’on en arrive à se demander ce qui est à prendre et ce qui est à laisser dans tout ce dont on se souvient. Bien sûr, certains choix s’imposent à nous. On ne peut pas se mettre hors la loi en pratiquant le mariage forcé ou pire l’excision inique des jeunes filles. Certaines zones d’ombre existent aussi qui nous mènent à forger notre propre opinion. Par exemple, la fessée n’est pas illégale dans tous les pays d’Europe mais elle est mal vue et lorsqu’elle est pratiquée trop souvent, cette forme brutale de pédagogie participe à une certaine stigmatisation des ‘étrangers’ que l’on qualifiera facilement de brutes ou de tortionnaires.

D’autre part, comment ne pas mentionner le rôle que joue cette même fessée dans le conflit générationnel et culturel qui oppose parfois les parents traditionalistes et les enfants issus de l’école occidentale ? ‘Mon fils a appelé la protection de l’enfance pour m’accuser, moi sa propre mère, de le maltraiter.’ Telle est la remarque que j’entendis il n’y a pas si longtemps chez ma coiffeuse. Toutes les autres dames du salon s’indignèrent de concert.

Elles étaient d’accord sur l’idée suivante : « on ne peut plus corriger notre marmaille lorsque cela s’avère utile. A ce rythme là, nos enfants nés ici vont sûrement tous mal tourner ! » Je gardai alors le silence en signe de désapprobation et je sais que bien de mes lecteurs partageront cette position : si la violence contre les enfants, les corrections intempestives et les menaces de les renvoyer au bled constituent notre seule façon de leur rappeler d’où ils viennent, et bien, ils n’y retourneront pas !

Il est vrai que la vie en Europe est stressante. Tout va beaucoup plus vite que dans le Sud, excusez le cliché. Il est donc extrêmement facile, après avoir perdu le meilleur de notre mode de vie passé, de ne pouvoir nous rabattre finalement que sur le négatif. Et là, c’est attention danger…

Les petits enfants ont une soif épistémologique et philosophique sans borne. Ils veulent savoir ‘pourquoi ?’ et ‘comment cela se fait-il que… ?’  On ne peut pas toujours tout expliquer mais on peut leur montrer qu’il existe plusieurs visions. Celle d’ici et celle de là bas, des conceptions qui bien des fois se complètent ou se rejoignent. Pour prendre un exemple frappant, je mentionnerai la dinde fumée que nous a servie un jour ma mère, en insistant sur le fait que l’animal avait été élevé par ses propres soins pendant de longs mois. ‘Pourquoi mamie a tué sa copine la dinde ?’ me demande mon fils. Je me suis sentie bien perplexe mais j’ai tenté le coup en lui expliquant que pour mamie,  c’était le plus beau cadeau possible et que cela n’était pas pire que l’abattage industriel. Avant la fin de ma longue clarification, mon fils mangeait avec appétit et fierté.

Personne je l’espère, n’attendait de cet article une liste de choses à faire ou ne pas faire. La parentalité de chacun s’appuie sur des principes, des souvenirs et  une créativité uniques. Une chose est certaine, il faut donner à nos enfants de bons outils pour explorer leur identité. Premièrement offrons leur une langue ou même des bribes de langue. C’est un fil d’Ariane qu’ils choisiront de suivre ou pas, c’est quelque chose de ludique, qui sonne un peu différemment et qui leur permettra de communiquer avec leurs cousins. Offrons leur aussi des rêves et  des contes,  des anecdotes, comme des cartes postales spirituelles qui allumeront peut-être le désir d’explorer plus avant la culture des parents. Donnons, donnons donc et ils prendront ce qu’il leur faut à l’heure de leur quête identitaire.

Si les enfants de diaspora deviennent totalement occidentaux, personne ne s’en plaindra à part peut-être leurs parents ou la petite part de passé sacrifiée et éteinte en eux. C’est pour leur propre bonheur qu’ils doivent se définir et se réaliser dans leur pluralité et dans leur complexité au sein de notre belle terre d’accueil.

Estelle Baroung Hughes – Cote News

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