Alerte à la ‘Tiger-Mom’, la maman qui va nous faire parler !

5 octobre 2011

C’est sûr, à côté des sages classiques comme J’élève mon enfant ou Tout se joue avant 6 ans, ce titre risquait de se faire remarquer… Dans ces petits traités, l’auteur dévoile une approche parentale pour le moins musclée, consistant à mettre la barre très haut pour ses enfants, et à tenailler ceux-ci jusqu’à ce qu’ils réussissent à l’atteindre ou à la dépasser.

La réussite, en effet, est au centre des préoccupations des parents chinois selon Amy Chua. Elle seule dictera l’épanouissement des enfants, qui ne pourront retirer de la satisfaction ou du plaisir de leurs occupations que s’ils s’attachent à y être les meilleurs. Même si ce plaisir vient au prix d’heures d’entraînement et d’une discipline de fer. Ainsi, l’auteur dévoile dans son récit quelques-uns de ses préceptes, qui ont bien sûr été relayés dans tous les médias comme exemples de l’outrance de l’éducation selon Madame Chua : interdiction d’inviter des amis à loger à la maison tout comme d’accepter leurs invitations à loger chez eux, interdiction d’avoir des notes inférieures à A+ à l’école (excepté… au cours de gym !), interdiction de regarder la télévision ou de jouer à des jeux vidéo, interdiction de jouer d’un autre instrument de musique que le piano ou le violon, qui sont, eux, des activités obligatoires.

Aux États-Unis peut-être encore plus qu’ici, l’épanouissement personnel et la réalisation de soi sont en première place des objectifs des parents pour leurs enfants. Voilà qui, en théorie, n’est pas vraiment en désaccord complet avec ce que prône Amy Chua qui cherche à faire le bonheur de ses enfants au moyen de la réussite de leurs projets. Le clash, comme vous pourrez le deviner, s’est plutôt produit au niveau des méthodes radicalement différentes pour y parvenir. Alors que les éducateurs d’outre-Atlantique et d’ici mettent un point d’honneur à respecter l’individualité des enfants et à encourager le développement de leurs talents – quels qu’ils soient, sans trop de force, la version « chinoise » (ou est-ce surtout celle plus personnelle d’Amy Chua ?) ne lésine pas sur les procédés plus ‘chocs’ : une affection exigeante, une insistance sur la performance n’hésitant pas à avoir recours aux privations, aux insultes ou aux menaces, quelquefois.

Les représailles sont sans doute les premiers aspects qui ont choqué les lecteurs. Amy Chua se montre volontiers colérique, voire hystérique, menaçant une de ses filles de brûler toutes ses peluches si elle s’obstine à refuser ses 5 heures de piano quotidiennes, ou à traiter l’autre de « déchet » lorsque ses résultats scolaires n’ont pas été satisfaisants. De quoi faire crier à la maltraitance, ce dont certains ne se sont pas privés. Pourtant, je soupçonne l’auteur d’avoir légèrement forcé le trait, et certains lecteurs de n’avoir pas décelé le ton ironique de ce récit : après tout, Amy Chua introduit elle-même ses mémoires comme la démonstration de sa technique d’éducation ‘infaillible’ qui lui a – aussi – valu la plus belle claque de sa vie de la part de sa fille de treize ans, qui l’a forcée à accepter son individualité et ses choix. En somme, un aveu d’humanité et de faillibilité dès les premières pages…  D’ailleurs, l’une des réponses les plus éloquentes à la polémique qui entoure le livre est venue de la fille aînée de Chua qui semble redresser quelques malentendus avec humour : « Maman, depuis la publication de ton livre, certains t’accusent de cruauté envers nous, tes enfants. C’est complètement faux ; tous les jeudis, tu nous libères de nos chaînes pendant quelques heures pour nous laisser jouer à des devinettes mathématiques dans la cave. »

Les filles d’Amy Chua semblent en effet incroyablement sereines et épanouies, n’ayant aucun problème à s’insurger ou à signifier à leur mère qu’elle va trop loin quand il le faut. Serait-ce donc que l’éducation ‘choc’ de leur maman ait porté ses fruits, et n’ait pas été aussi scandaleuse qu’on le croit ? Et puis, ces principes d’éducation méritent-ils d’être vilipendés à ce point ? Après tout, chaque parent n’est-il pas libre d’élever ses enfants comme bon lui semble, tant qu’il reste dans le cadre de la loi et du bien-fondé moral ? Pourquoi ce livre a-t-il déchaîné autant de passions, et va-t-il sans doute continuer de le faire dans un mois ou deux lorsqu’il arrivera dans nos librairies ?

Au-delà de l’humour provocateur et des exagérations probables de ce récit, je me demande si Amy Chua n’aurait pas commis l’erreur impensable : celle de se positionner dans un jugement de valeur sur les différents systèmes d’éducation. Il suffit pourtant d’observer deux jeunes mamans ou couples de parents discuter des bienfaits de leur approche avec leurs chères têtes blondes pour comprendre rapidement une règle de base : sous risque de guerre froide, il ne faut jamais professer qu’on estime nos principes d’éducation comme les meilleurs du monde, en contraste avec ceux de nos interlocuteurs ! Peut-être le scandale entourant The Battle Hymn of a Tiger Mother doit-il, au final, plus à des susceptibilités froissées qu’à une division Est-Ouest, mais je sens que ce petit livre va nous faire parler pendant tout l’hiver !

 

A. Louette – Rédactrice TRIBUNES ROMANDES

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