Pour ces occasions, j’ai testé pour vous les films de Douglas Sirk. Ce cinéaste allemand (Detlef Sierck de son vrai nom) a connu son heure de gloire à Hollywood dans les années 1950. Déjà admiré pour l’esthétisme de ses films et son engagement politique (son premier film s’intitulait Hitler’s Madman, à propos de Heydrich), c’est à cette période qu’il se lance dans une série de mélodrames : All I Desire, Tout ce que le ciel permet, Le Secret magnifique, Ecrit sur du vent, Le Temps d’aimer et de mourir… une demi-douzaine environ de grands films à la fois odes et satires de la société américaine de l’époque.
En effet, les paysages sont magnifiques, les robes sont somptueuses, les voitures rutilantes… l’admiration de l’immigré allemand face à la promesse de vie facile des USA se montre plus d’une fois. Néanmoins, c’est toujours avec un certain recul : les couleurs sont presque trop belles, forcées, comme pour suggérer que ce décor est trop parfait, irréel. Mais quelles images ! Elles ne font que renforcer le sentiment de nostalgie que l’on éprouve en regardant ces petits bijoux si subtils, des observations parfois ironiques de la vie en société ou en famille parfois si précaire dans le confort omniprésent de ces années 1950 où la ménagère s’extasiait devant ses nouveaux appareils ménagers. Une belle façon de nous montrer la face sombre de ce mode de vie vendu comme idyllique par la télévision, une autre reine incontestée de l’époque, et qui inspira notamment une idolâtrie sans bornes à Fassbinder, cinéaste qui consacrera même un magnifique documentaire à Sirk dans les années 1970.
Douglas Sirk a fait appel plusieurs fois aux acteurs Rock Hudson et Jane Wyman, couple emblématique des amours impossibles dépeints avec brio dans ces mélodrames. Dans Le Secret magnifique, sans conteste le film le plus célèbre du réalisateur, l’un joue le playboy responsable de la mort accidentelle du mari de l’autre, dont il va pourtant tomber amoureux… Tout ce que le ciel permet, mon préféré, retrouve les deux acteurs dans une romance contrariée par la pression sociale : une veuve dont les enfants s’en vont à l’université trompe sa solitude et s’éprend de son jeune jardinier. Le ‘qu’en dira-t-on’ et la réaction outrée de ses enfants a raison de ses sentiments pourtant sincères pour son jardinier, incarné à merveille par un Rock Hudson émouvant en amoureux éconduit et digne.
Il faut voir ce film pour déceler toute la beauté des scènes de neige filmées à travers les fenêtres, ou la solitude de Jane Wyman qui, si heureuse de retrouver ses enfants pour Noël, se voit aussitôt abandonnée par eux avec, en échange, un tout nouveau téléviseur comme cadeau… Jamais un téléviseur n’a semblé être un si cruel miroir, c’est vraiment une scène d’anthologie ! Ces films vous emmènent doucement dans leur monde, avec leurs décors de carton-pâte et leurs éclairages trop brillants, mais à aucune seconde, vous ne regrettez le voyage.
Le cinéaste qui a fini sa vie à Lugano était pratiquement tombé dans l’oubli avant que les Cahiers du Cinéma ne se souviennent de lui dans les années 1970. Il a depuis fait l’objet de nombreux hommages de réalisateurs, dont le plus décalé est peut-être celui de Quentin Tarantino, qui donne le nom de Douglas Sirk à un plat dans Pulp Fiction. Mais Quentin a du goût, c’est indubitable !
Si vous trouvez, dans les rayons de DVD, un coffret de Douglas Sirk, n’hésitez pas un seul instant ; il vous procurera des heures de bonheur nostalgique !
A. Louette – Rédactrice TRIBUNES ROMANDES
Copyright © TRIBUNES ROMANDES – Tous droits réservés